C’est une question très importante dans le monde du travail indépendant au Québec, qui revient un peu dans un sens, à se demander quel est le salaire net d’un travailleur autonome, ou qu’est ce qui reste concrètement dans les poches du travailleur une fois le reste payé?
Car pour un travailleur autonome, l’argent qui rentre dans le compte en banque après un contrat de service ou contrat de travail ne peut pas être considéré comme un salaire.
Entre les différents frais liés à l’activité, dont certaines dépenses admissibles, les impôts sur le revenu à payer, anticiper le montant des taxes fédérales et provinciales, la TPS et la TVQ, les acomptes provisionnels à verser le cas échéant, le fameux coussin financier à épargner, qui est souvent conseillé en cas d’imprévu, l’estimation des congés maladie ou vacances qui ne sont pas payées, un travailleur autonome québécois a beaucoup de choses à évaluer avant de pouvoir se verser un vrai salaire.
Et c’est aussi une erreur que feront plusieurs jeunes travailleurs indépendants, en dépensant l’argent gagné immédiatement en le considérant à tort comme un salaire, en oubliant d’anticiper et déduire une partie.
Essayons donc ici d’amener les éléments nécessaires pour répondre à une des plus importantes questions du travailleur autonome : comment se verser un salaire?
La différence entre un salarié et un indépendant
Il paraît pertinent de rappeler ici quelle est la différence entre un salarié et un indépendant, en considérant particulièrement la question du salaire brut et net.
Un employé d’une entreprise aura un salaire net versé par son employeur, qui payera les charges sociales et prélèvera directement le montant brut des différents impôts et cotisations, ce qui permet notamment aux salariés d’entreprises d’avoir des avantages sociaux avec notamment des assurances collectives, permettant d’avoir des congés payés, une assurance emploi ou assurance maladie, assurance médicament, mais aussi des programmes d’épargne-retraite comme les REER.
Dans une entreprise individuelle, l’entrepreneur est son propre patron, c’est-à-dire qu’il devra payer lui-même les charges et cotisations l’employeur, en payant un impôt sur son chiffre d’affaire lors de la déclaration de revenu.
C’est ainsi que lorsqu’un travailleur indépendant, un freelance ou un pigiste, reçoit ou dépose dans son compte en banque le revenu généré par un contrat, cet argent doit être considéré comme brut, puisqu’il n’est pas encore déduit d’impôt.
Déduire les charges : taxes et taux d’imposition
Ainsi, avant de pouvoir se verser un salaire le travailleur autonome canadien doit d’abord anticiper et mettre de côté l’impôt qu’il doit payer sur son revenu brut.
Impôts fédéral et provincial : En 2022 au Québec, les deux impôts, celui du Canada et du celui du Québec, sont de 15% chacun sur la première tranche de revenu imposable, s’élevant à 46 295 CAD : on peut donc estimer qu’il faut mettre 30% de côté avec un revenu brut de maximum 46 000 CAD, pour payer ces impôts auprès de Revenu Québec et de l’Agence du Revenu du Canada.
Cotisations RQAP et RRQ : Mais il se peut que d’autres taxes soient à payer. Après la déclaration de revenu, si l’impôt net à payer dépasse les 1 800 CAD, ce qui est facilement atteignable donc fréquent, un indépendant devra payer des cotisations, notamment celle du RQAP, Le Régime Québécois d’Assurance Parentale, du RRQ, le Régime des Rentes du Québec, du FSS, le Fond des Services de Santé, et Régime d’Assurance Médicaments du Québec.
Un entrepreneur à son compte paye ici une plus grande part de cotisation qu’un salarié, puisque cette part est déjà payée en partie dans le salaire brut d’un employé, déjà prélevé, et que l’entrepreneur seul doit alors payer aussi sa part et celle de l’entreprise, même si c’est la sienne.
Cet impôt permet néanmoins aux indépendants du Québec de pouvoir accéder, selon leur admissibilité et le montant de leurs cotisations, à certaines prestations sociales du gouvernement et certains revenus de retraite, des avantages sociaux précieux pour les travailleurs autonomes.
Les cotisations RRQ et RQAP se payent à travers les acomptes provisionnels, des paiements étalés en plusieurs fois à travers l’année fiscale.
Ainsi, pour calculer son revenu net, un travailleur autonome doit d’abord estimer et déduire
Calculateur de taxes: Il existent des sites comme ce calculateur en ligne qui aident à estimer et calculer plus précisément les différentes charges et déductions pour les travailleurs autonomes québécois et canadiens, en détaillant toutes les parts : TPS, TVQ, RRQ et RQAP.
Pour approfondir cette question, vous pouvez consulter notre article sur le taux d’imposition d’un travailleur autonome.
Déduire le reste : non facturables, congés, dépenses et coussin financier
Cependant, même une fois les impôts déduits, il y’a d’autres dépenses à prendre en compte et certaines anticipations qu’il ne faut pas négliger.
Congés, vacances, maladie, non-facturables : Un travailleur autonome n’a pas les mêmes avantages sociaux qu’un salarié, donc pas de congés payés par exemple, que ce soit pour prendre deux semaine de vacances, mais aussi en cas d’une semaine cloué au lit avec une vilaine grippe, ou encore des journées non payées consacrées à la prospection, la promotion ou l’autoformation, considérées comme non-facturables, et réduisant le nombre de jours travaillés par année.
Ces périodes non travaillées seront à la solde de l’entrepreneur, et il est recommandé de mettre entre 8 et 12% du chiffre d’affaire par année pour pallier ces éventualités.
Dépenses d’entreprise : Cela dépend du style d’activité, mais plusieurs dépenses et investissements sont nécessaires dans le cadre de l’activité professionnelle : cela peut aller des simples fournitures de bureaux, l’achat d’un nouvel ordinateur ou d’un logiciel, à l’investissement de matériaux ou encore des frais de déplacement.
Même si ces dépenses peuvent être admissible, pour par exemple demander un crédit d’impôt et récupérer TPS et TVQ sur certains achats, l’argent devra néanmoins être dépensé, il faudra donc l’anticiper : selon le domaine d’activité, cela peut aller de 5 à 30% du chiffre d’affaire.
Plus de 30 000 CAD = taxes à inclure : si votre chiffre d’affaire dépasse les 30 000 CAD au cours d’une année ou d’un trimestre, vous êtes tenus de vous inscrire aux fichiers de la TPS/TVQ, d’inclure ces taxes dans vos factures dans donc vos prix : 5% pour la TPS, 9,975% pour la TVQ, ce qui donne environ un 15% de taxes qu’on peut considérer comme une partie financière à anticiper et prévoir, même si ces taxes peuvent être récupérées par des crédits d’impôts : plus de détails dans notre article sur la facturation.
Imprévus / fond d’urgence : Encore une fois, un indépendant n’a pas la même couverture qu’un salarié en cas d’imprévu, par exemple d’un accident empêchant de travailler pendant plusieurs mois, même si certaines compagnies d’assurance proposent des produits adaptés comme l’assurance vie, les primes sont souvent très élevées, et c’est un budget à considérer dans ce cas.
C’est donc encore à la discrétion et au choix de chacun, mais les experts financiers recommandent souvent de prévoir l’équivalent de 3 mois de salaire de côté, ce qui représente 10% du chiffre d’affaire.
Ainsi, selon les estimations, besoins et choix financiers de chacun, c’est quand même un pourcentage important du chiffre d’affaire qui doit être retenu dans le cadre de ces déductions, en plus des charges et impôts, avant de pouvoir se verser un vrai salaire net.
Salaire net = Chiffre d’affaire brut – impôts et charges – dépenses d’entreprise – congés et jours non-facturables estimés – coussin financier / épargne / fonds d’urgence
Pour aller plus en détail, consultez notre article « Combien mettre de côté lorsqu’on est travailleur autonome. »
Ouvrir un compte professionnel séparé ou épargne
Une bonne stratégie financière pour se verser un salaire en tant que travailleur autonome, c’est d’ouvrir un compte professionnel séparé, pour pouvoir y gérer tous les paiements nécessaires à l’activité de l’entreprise, et de se verser sur son compte personnel le pourcentage que l’on aura estimé, après toutes les déductions que nous avons évoquées précédemment.
Si l’on utilise le même compte personnel pour son activité de travail autonome, il est alors possible de par exemple automatiser chaque mois un virement vers un compte épargne exclusivement réserver au paiement des impôts, charges, dépenses d’entreprises et autre déductions nécessaires estimées, pour ne laisser sur son compte que le salaire net.
En somme, lorsqu’on est son propre patron, un bon moyen de se verser un salaire est d’avoir la discipline de se prélever soi-même son salaire brut, en anticipant les différentes cotisations, charges et déductions, pour ne garder qu’un salaire net dans son compte personnel.
Se verser des dividendes : un autre statut
Il existe une autre solution pour des entrepreneurs individuels, c’est de se verser un salaire net sous forme de dividendes. Cependant, cette stratégie n’est pas faisable légalement avec le statut de travailleur autonome.
En effet, un dividende est le versement financier de parts de l’entreprise à ses actionnaires : hors, si on est son propre patron, il n’est pas possible d’être également actionnaire.
C’est pourquoi le versement de dividendes n’est possible qu’avec une autre forme juridique d’entreprise où la personne morale représentant l’entreprise sera dissociée de la personne physique : en gros, séparer l’entreprise comme une entité légale, pour pouvoir se verser un dividende à titre personnel, comme rémunération.
Au Québec, ce sera possible pour les travailleurs autonomes lorsqu’ils changent de statut pour s’incorporer, en devenant une entreprise incorporée, ou en montant une autre entreprise comme une société par actions.
Même si cette stratégie de planification financière présente certains avantages fiscaux comme le fait de payer moins d’impôts et réduire le revenu imposable, les dividendes étant moins imposés qu’un revenu d’entreprise, faisant partie de l’impôt personnel, le fait de changer de forme juridique et de s’incorporer impliquent une gestion administrative et des contraintes fiscales bien plus compliquées que celles du statut de travailleur autonome.
Pour en savoir plus sur l’incorporation, consultez notre article sur le sujet ici.
Travailleur autonome : estimer son salaire net avant de se le verser
La réalité des petites entreprises et du travail indépendant est donc bien différente de celle des employés salariés.
Comme nous l’avons vu, avant de se verser un salaire, il est essentiel de calculer et d’estimer son salaire net lorsqu’on est entrepreneur individuel, en comptant non seulement les impôts et charges, mais aussi en estimant et en considérant les autres frais et dépenses, ainsi que les journées non-travaillés ou non-facturables, pour éviter d’avoir des mauvaises surprises à la fin de l’année fiscale.
Une bonne stratégie peut être de séparer son compte d’entreprise et son compte personnel, ou encore d’épargner et mettre de côté automatiquement le pourcentage estimé pour ne garder qu’un véritable salaire net.
Si votre entreprise connaît une forte croissance et que vous envisagez de changer de forme juridique comme l’incorporation, vous pourriez alors envisager la stratégie de vous verser un salaire à travers des dividendes : cependant, on entre ici dans un tout autre niveau de gestion et planification financière, qu’il faudra certainement étudier avec un comptable ou conseiller financier.