Les heures non facturables : les coûts cachés du travail autonome

Par Bruno Maniaci
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Libre gestion du temps, horaires flexibles, libre choix du lieu de travail, des clients et contrats, des méthodes et outils de travail : la liberté et les avantages de travailler à son compte en attire plus d’un, avec pas loin de 600 000 personnes au Québec en 2022.

Mais cette liberté vient à un certain prix, un revers de la médaille qu’on ne voit pas toujours de l’extérieur, pour n’importe quelle entreprise individuelle.

Car la réalité d’être son propre patron lorsqu’on est travailleur autonome et qu’on gère son entreprise, c’est de devoir endosser plusieurs casquettes : comptable, adjoint administratif, secrétaire, responsable de la facturation, du service client, chargé de communication et marketing, placement de publicités, responsable des médias sociaux, gestionnaire des relations presse, recherche et développement, responsable des stocks et approvisionnement, porte-parole de l’entreprise dans des évènements de réseautage, etc.

Selon le domaine professionnel, cette liste de rôles à endosser et tâches à effectuer soi-même dans le cadre d’une entreprise individuelle peut s’allonger encore.

Mais toutes ces heures passées à endosser ces différentes casquettes et gérer ces différentes tâches sont en dehors de l’activité principale de la compagnie, celle pour laquelle on facture des heures à ses clients.

C’est ce qu’on appelle du temps non facturable, car on ne peut pas le charger à aucun client, ou pas exactement.

Essayons ici d’approfondir le sujet des heures non facturables pour un travailleur autonome : où se cachent ces heures, comment évaluer leur coût, comment les gérer, et comment elles peuvent avoir une influence le tarif horaire et salaire annuel.

 

C’est quoi les heures non facturables?

Définissons d’abord ce concept en commençant par les heures facturables. Les heures facturables sont celles qu’on va charger à un client dans le cadre d’un contrat de travail, en comptant le nombre d’heures que l’on a passées à réaliser l’ouvrage pour lequel on est embauché.

On peut prendre l’exemple d’Alex, un pigiste qui est artiste illustrateur : sa facture au client inclura les heures consacrées à la conception de l’illustration, peut-être quelques heures pour l’élaboration du brief et les échanges avec le client, puis les heures nécessaires à la réalisation du projet jusqu’à sa livraison, et les éventuelles retouches ou finitions, le temps pour exporter et envoyer le projet.

Et il en sera ainsi pour chaque client et contrat au cours de l’année, générant directement le revenu brut.

Cependant, au cours de l’année, et chaque semaine, Alex doit aussi passer de nombreuses heures à gérer sa compagnie, en plus du temps qu’il passe à faire de l’illustration : il doit notamment mettre à jour son site web, refaire une des pages qui ne s’affiche plus, partager ses créations sur les médias sociaux, créer des petites vidéos pour TikTok et Instagram pour augmenter sa visibilité et trouver de nouveaux contrats, suivre une formation de 15 heures sur un nouveau logiciel d’illustration, répondre à des courriels et envoyer des soumissions à des nouveaux clients, et mettre à jour sa comptabilité pour préparer sa déclaration d’impôt.

Toutes ces heures sont nécessaires au roulement de son entreprise, mais Alex doit les prendre sur son temps à lui, et il ne peut pas les facturer à des clients, puisqu’elles n’ont pas rapport aux contrats d’illustrations qu’il réalise.

Ce sont donc des heures non facturables, car elles ne sont pas payées par un client.

Et selon certains experts des petites entreprises et autoentrepreneurs d’expérience, ces heures peuvent représenter de 35 à 60% du temps sur une année, selon le domaine professionnel.

Comptabilité et administration

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La gestion des finances sera différente d’un travailleur indépendant à l’autre, selon par exemple le nombre de contrats réalisés en une année : un pigiste qui enchaîne les contrats courts aura beaucoup plus de travail de facturation qu’un consultant ou assistant qui travaille sur de longs contrats annuels avec peu de clients.

La facturation elle-même peut prendre du temps dans tous les cas, puisqu’il faut souvent émettre d’abord une soumission, puis émettre la facture, l’envoyer, la renvoyer si nécessaire, relancer les clients puis encaisser les paiements.

Une grosse partie de la comptabilité sera aussi la préparation de la déclaration de revenu quand vient le temps de payer ses impôts auprès de Revenu Québec et de l’Agence du Revenu du Canada.

En dehors du remplissage des formulaires, il y aussi plusieurs documents et justificatifs à rassembler, si on pense par exemple aux dépenses admissibles, les dépenses d’entreprises qu’un travailleur autonome peut déclarer comme les fournitures, les frais de déplacement ou de location d’un espace de travail, l’entretien ou encore l’achat de nouveaux outils, licences ou logiciels.

Enfin, les divers tâches administratives pour remplir divers formulaires, inscription au registre des entreprises, demande de subventions ou financement, démarches auprès des banques pour un prêt, etc.

Gestion du site web et réseaux sociaux

Selon le type d’industrie dans laquelle on évolue, la présence en ligne est primordiale et on ne peut pas négliger la gestion et mise à jour régulière des différents médias en ligne pour promouvoir l’entreprise.

La création, mise à jour et gestion d’un site web peuvent facilement prendre de longues heures, surtout si on veut bien faire les choses en créant régulièrement du contenu, des articles de blog, des nouvelles images ou photos montrant les différents travaux réalisés.

Mais à notre époque, c’est surtout les réseaux sociaux qui sont devenus incontournables pour toutes les entreprises, et selon le domaine dans lequel on évolue, on ne peut pas se permettre de négliger la gestion de cette vitrine essentielle.

Entre la création de posts, de vidéos, de stories Facebook et Instagram ou encore la gestion des messages et commentaires de clients potentiels, la gestion des réseaux sociaux peut vite occuper de nombreuses heures dans une semaine occupée.

Marketing, prospection et publicité

Pour la pérennité de l’entreprise, et pour se faire connaître et ramener de nouveaux clients, il est parfois nécessaire d’établir une stratégie marketing, en gérant plusieurs actions promotionnelles, mettant en place des partenariats, ou encore en achetant de la publicité.

On peut penser à la recherche de partenaires, la participation à des évènements comme des salons ou festivals selon le domaine, permettant de faire connaître la marque, mais aussi à la réalisation d’études de marché pour savoir comment mieux se positionner et faire des stratégies.

Dans le marketing, on peut aussi considérer la création d’articles promotionnels, de marchandise à l’effigie de la marque, ou encore de conception et impression de flyers pour donner dans des endroits ciblés, ou encore les indispensables cartes de visites lorsqu’on se lance dans les affaires.

Enfin, la gestion de la publicité est aussi chronophage : que ce soit du placement dans des magazines ou journaux ou des publicités en ligne, sur Facebook ou sur des sites internet, la promotio demandera plusieurs heures, de la conception aux démarches en passant par la mise en ligne.

Et voici encore quelques heures de gestion qui s’ajoutent au nombre d’heures travaillées.

Réseautage et relations d’affaires

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Parfois, dans certains domaines et industries, le réseautage est important voire essentiel pour garantir le développement de l’entreprise, la venue de nouveaux clients, l’agrandissement du carnet d’adresse, et donc optimiser le chiffre d’affaire avec plus d’opportunités de travail.

Plusieurs heures pourront alors être consacrées à se déplacer dans certains évènements, comme des 5 à 7, des salons d’entrepreneurs québécois, des conférences et ateliers professionnels, mais aussi des repas d’affaires, comme par exemple aller bruncher avec le président de telle ou telle compagnie pour entretenir les relations de travail et discuter de potentiel futurs contrats.

Et quand on prend en compte les déplacements liés au réseautage, que ce soit d’aller en Abitibi pour une conférence exclusive, en Colombie Britannique pour un salon réunissant le milieu canadien de votre profession ou encore en Californie pour un évènement international avec des intervenants de marque, cela rajoute encore du temps non facturable à la fin de l’année.

Formation et développement personnel

Qu’on soit dans le domaine de la programmation web, du design graphique, de la logistique de transport ou dans la panification financière, la plupart des métiers pratiqués par beaucoup de travailleurs et travailleuses autonomes demandent de mettre ses connaissances à jour régulièrement pour rester pertinent sur le marché du travail, surtout dans certains domaines qui sont en constante évolution.

Pour cela, on peut parfois avoir recours à des formations : chercher des programmes spécifiques, s’inscrire, trouver des sources de financements via des organismes, suivre la formation, ou encore s’entraîner avec de nouveaux outils ou techniques demande un certain nombre d’heures.

Jours de congés : repos, maladie et vacances

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A l’inverse d’un employé qui bénéficie d’avantages sociaux comme l’assurance-emploi, l’accès facile à des REER, mais surtout les jours fériés et congés payés, ainsi que les congés de maladie.

Pour ces derniers, c’est-à-dire tous les jours qui ne sont pas travaillés pour des raisons de maladie, repos ou vacances, loisirs ou famille, un indépendant devra les prendre sur son compte, puisque ce sont des journées qui ne seront pas facturables.

Si un travailleur autonome tombe malade et ne peut pas travailler quelques jours, ou si il veut prendre deux semaines de vacances pour aller dans le Sud, il n’aura aucune rentrée d’argent pendant ce temps-là, qui est donc non facturable.

Ainsi lorsqu’on calcule les heures travaillées le long de l’année, on ne peut pas compter chaque semaine de l’année à 40 heures, puisque contrairement à un salarié, les jours et semaines non-travaillées ne seront pas payées : il faut prévoir d’enlever une à trois semaines pour un travailleur autonome.

 

Conséquence sur le taux horaire et le salaire

Si on additionne toutes les heures non-facturables qu’on a mentionnées précédemment, et qu’on les calcule sur une année entière, on se rendra vite compte de la place qu’elles prennent à côté des heures de travail facturables.

Selon certains experts, dépendamment du style d’industrie et du domaine de travail, de la manière dont on gère son entreprise, ces heures non-facturables pourraient représenter de 35 à 60% du temps de travail pour un autoentrepreneur.

Si on se trouve au-delà de 50% de temps non facturable, il faut ainsi considérer que plus de la moitié du temps de l’année sera consacrée à des heures qu’on ne peut pas charger ou facturer directement aux clients.

Ajuster son taux horaire : compenser pour le temps non-facturable

Pour alors être payé à sa juste valeur, et donc pouvoir se payer tout le temps non facturable, il faut faire la balance des deux pour estimer le nombre d’heures réelles travaillées et facturables, et ajuster le taux horaire en fonction pour compenser.

Autrement dit, le nombre d’heures facturables par semaine ne sera pas 40 heures, mais plutôt 20 ou 25 heures, le cas échéant, selon le pourcentage d’heures non facturables estimées.

Ainsi, on calculera son salaire annuel ou son taux horaire non pas sur une base de 40 heures par semaine mais 25 dans ce cas, ce qui peut par exemple donner une estimation d’un taux à 50 CAD de l’heure plutôt que 30 CAD.

Sans ce réajustement, un travailleur autonome pourrait se retrouver à travailler sans arriver à couvrir et payer ses frais, dépenses personnelles, imprévus, jours de congés et toutes ces heures nécessaires à la gestion de son entreprise en dehors du travail lui-même.

Pour aller plus loin dans les détails de ce calcul, incluant aussi les dépenses personnelles, dépenses d’entreprise, mises de côtés et estimations de l’impôt,  consultez cet article sur comment calculer son taux horaire de travailleur autonome.

 

Comment réduire le temps non facturable

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Bien évidemment, tout travailleur indépendant aspire à pouvoir se consacrer pleinement au métier qu’il aime et a choisi, et à éviter dans la mesure du possible de passer trop de temps à faire de la gestion, de l’administration, de la facturation ou encore de la prospection, même si ces heures-là sont essentielles au bon fonctionnement de l’entreprise.

Pour les réduire, il existe plusieurs solutions que l’on peut considérer selon la situation de l’entreprise et son organisation : essayons ici de donner quelques pistes.

Engager un comptable

La comptabilité reste une grande partie de la vie d’un travailleur indépendant, et si on est pas extrêmement organisé avec un minimum de connaissances, cela peut vite devenir une tâche chronophage et stressante lorsque vient le temps de faire sa déclaration d’impôt par exemple.

Déléguer sa comptabilité peut alors devenir un investissement très rentable puisque sur le long terme il permettra de sauver de précieuses heures, et d’enlever un poids des épaules.

Pour en savoir plus, consultez notre article : engager un comptable ou pas?

Engager un assistant virtuel

Un assistant virtuel est un contracteur en ligne indépendant, souvent à temps partiel, à qui on peut déléguer et sous-traiter certaines tâches pour s’alléger du temps de travail : selon le profil de la personne, elle pourra par exemple s’occuper de la facturation, des relances clients, de la comptabilité et gestion de comptes, ou de la gestion de médias sociaux.

En gros, sous-traiter une partie de votre travail, des tâches chronophages, pour pouvoir vous consacrer mieux à votre travail et libérer du temps : un investissement qui peut valoir le coup.

Pour en savoir plus : un assistant virtuel, c’est quoi, et est-ce que vous en avez besoin?

S’aider d’applications

Souvent, une des clés du problème, c’est l’organisation et la productivité, et quelle quantité de tâches on peut rayer de sa liste en un certain nombre d’heures de travail, pour passer à la suite, et se débarrasser des obligations satellites comme la compta ou l’administration.

Cela devient d’autant plus un challenge lorsque, comme on l’a vu, on doit endosser de multiples casquettes et gérer une multitude de dossiers différents : on est vite dépassé par toutes ces petites choses à faire.

Parfois, il est simplement possible d’améliorer sa productivité, et donc de gagner du temps, à l’aide d’applications sur mobile ou ordinateur.

On peut penser aux applications de style « post-it » pour prendre des notes au long de la journée et ne rien oublier comme Trello ou EverNote, des application de style « to-do-list » avec des fonctionnalités automatisées, des rappels et agendas comme Todoist ou Any.Do, ou encore des applications de gestion de projet comme Monday avec beaucoup de possibilités pour organiser et faire le suivi de plusieurs projets en même temps.

Pour aller plus loin, consultez notre article sur comment améliorer sa productivité.

 

Les heures non-facturables : la face cachée du temps d’un travailleur indépendant

Ainsi les heures non facturables sont un aspect inévitable de la réalité d’un travailleur ou d’une travailleuse autonome, qu’il ne faut pas négliger car le salaire annuel et le taux horaire doivent les compenser, à travers les heures qui sont facturables aux clients.

Dans ce temps pour lequel un autoentrepreneur n’est pas payé, on peut notamment mentionner :

  • Comptabilité et administration
  • Gestion du site web et réseaux sociaux
  • Marketing et publicité
  • Réseautage et relations d’affaires
  • Formation et développement personnel
  • Jours de congé : repos, maladie et vacances

Toutes ces heures peuvent représenter de 35 à 60% du temps d’un travailleur autonome, et doivent être prises en compte lorsqu’on détermine un taux horaire.

Toutefois il est possible de les réduire en sous-traitant certaines tâches qu’on nomme chronophages, en embauchant par exemple un comptable, ou un assistant virtuel à titre d’aide administratif, pour se délester et mieux se consacrer à son travail.

Enfin, il est aussi possible de se servir de certaines applications pour s’aider à être mieux organisé et augmenter sa productivité, avoir un meilleur rendement pour essayer de ne plus passer autant d’heures dans certains projets non-facturables.

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