C’est la grande question qui se pose pour tous les travailleurs autonomes.
Quel tarif demander ? Comment justifier son salaire horaire ?
Ça y est vous vous lancez sur le marché du travail indépendant.
Les premiers contrats arrivent, et vos potentiels clients vous pose la fameuse question : « Combien chargez-vous de l’heure ? ».
Il est souvent délicat dans les premiers temps de se faire une idée et de bien calculer son taux horaire, en évitant plusieurs pièges : comparer au salariat, charger moins cher pour décrocher plus de contrats, ou ne pas prendre en compte les heures non facturables.
Voici un guide non exhaustif pour faire le tour de la question et vous aider à faire une bonne estimation.
Car tout travail mérite salaire, surtout celui d’un indépendant qui est responsable de son entreprise, ce qui implique plus de temps et d’argent qu’un employé.
Faire son étude de marché
Evidemment la première chose à faire pour essayer de déterminer un tarif horaire est de faire votre propre étude de marché.
Quitte à même faire quelques soumissions de projets auprès de concurrents, ou discuter avec d’autres professionnels déjà établis.
Arriver à se faire une idée globale de ce qui se fait dans votre domaine, constater par exemple que des indépendants dans votre champ professionnel chargent en moyenne entre 45 et 75 $ de l’heure.
Bien sûr plusieurs facteurs seront à prendre en compte comme l’expérience.
Cependant, même si vous débutez, ce n’est pas une raison pour charger beaucoup moins cher et casser les prix…
Justifier un tarif plus élevé : le piège de charger moins cher
Il peut être facile et tentant lorsqu’on débute, de charger moins cher pour aller chercher plus facilement des contrats, et arriver à faire sa place sur le marché québécois ou canadien.
Mais c’est une erreur à ne pas faire, pour plusieurs raisons.
D’abord par rapport à la concurrence déloyale, le risque de vous mettre d’autres professionnels de votre propre milieu à dos en cassant les prix, et en risquant de faire baisser le taux horaire moyen puisque sur le long terme, les entreprises s’attendront alors à des prix plus réduits.
Ensuite, si vous commencez à un taux horaire trop bas, il sera difficile d’augmenter par la suite de manière raisonnable, surtout si vous voulez garder les mêmes clients et les charger plus cher.
En effet, vous ne pourrez pas charger un nouveau client 20$ de l’heure et 40$ l’année d’après.
Il vous faudra donc attendre longtemps avant d’atteindre un meilleur salaire.
Ainsi vous risquez de vous retrouver à devoir faire des heures et des semaines interminables pour subvenir à vos besoins car votre taux horaire trop bas ne vous permettra pas d’atteindre vos objectifs.
Et vous risquez surtout de vous épuiser au travail, et de fournir un produit de moindre qualité.
Gardez en tête qu’un travailleur autonome doit aussi garder du temps pour gérer son activité en dehors des contrats : démarches, administration, comptabilité, etc.
Et n’importe quel être humain doit aussi garder du temps pour lui, pour sa santé mentale et physique.
La nécessité de mettre de l’argent de côté
Un travailleur autonome au Québec ne bénéficie pas des avantages sociaux que peut avoir un salarié.
Vacances, jours fériés, congés payés : le travailleur autonome doit assumer financièrement ses congés.
Tout comme les congés de maladie : s’il manque une semaine de travail parce qu’il est tombé malade, il ne sera pas payé, et il devra même rattraper au plus vite son travail s’il ne veut pas risquer de perdre son contrat.
La plupart du temps il devra aussi assumer plus de dépenses de santé et de médicaments, le cas échéant, qu’un employé bénéficiant d’une couverture santé remboursant une partie des médicaments.
Et dans le cas de la perte d’un contrat de travail, le travailleur autonome n’a pas d’assurance emploi pouvant lui garantir une période de chômage pour se reprendre.
On peut aussi mentionner d’autres cotisations comme les REER pour son épargne-retraite : un salarié cotise automatiquement à travers les charges sociales de son salaire, mais pas un travailleur autonome, qui devra épargner lui-même pour pouvoir faire ces cotisations et mettre de l’argent de côté pour investir ou prévoir sur le long terme.
Pour toutes ces raisons, il est essentiel de mettre de l’argent de côté, avoir un coussin financier.
Il faut donc estimer dans son budget annuel une certaine somme dédiée à couvrir ces différents frais éventuels, et les prendre en compte dans la balance pour calculer un taux horaire suffisamment élevé pour subvenir à cette épargne nécessaire.
Prévoir les impôts et dépenses d’entreprise
À prévoir également dans le budget annuel du travailleur autonome : les impôts à payer et les dépenses nécessaires à la réalisation des contrats, les dépenses liées à l’activité comme les fournitures, les loyers ou les frais de déplacement.
Impôts et revenu net
Contrairement à un salarié dont les impôts et cotisations sont directement prélevées sur le salaire brut, le travailleur autonome doit prévoir et mettre de l’argent de côté pour pourvoir payer ses impôts au Québec (la TVQ) et au Canada (la TPS).
Après sa déclaration de revenu et en fonction de son chiffre d’affaire, il pourra même se voir obliger de payer des acomptes provisionnels, une taxe anticipée du gouvernement appliquée selon les revenus, incluant des taxes comme la RRQ ou la RQAP.
Le travailleur autonome ne reçoit pas un salaire net lorsqu’il reçoit ses paiements, c’est un salaire brut qu’il devra ponctionner par la suite en payant ses taxes.
Dépenses liées à l’activité
Selon le domaine d’activité, plusieurs dépenses sont nécessaires au fonctionnement d’une entreprise individuelle.
Et par définition, le travailleur autonome est propriétaire de ses outils de travail, donc ils sont à sa charge : ordinateur portable, fournitures de bureau, achat de logiciels, location d’un espace de travail, achats de fournitures ou encore achat de publicités.
Si un élément essentiel à son activité professionnelle doit être remplacé, c’est à sa propre charge, contrairement à un employé qui se fait fournir tous les outils par l’employeur.
Additionnées à la fin de l’année, toutes ces dépenses seront à prendre en compte dans la balance pour calculer un taux horaire permettant d’assumer ces dépenses avec un salaire annuel conséquent.
Les heures non facturables dans l’année : de 40 à 60%
Il pourrait être facile de simplement estimer le nombre d’heures de travail sur une année, sur une base de 35 ou 40 heures par semaine, et 52 semaines, pour déterminer notre taux horaire, en fonction d’un objectif de salaire annuel.
Cependant ce serait une erreur de raisonner ainsi, puisqu’on oublierai les heures non facturables, qui selon certains experts pourraient représenter de 40 à 60% des heures d’un indépendant.
En effet, un travailleur autonome est un entrepreneur qui est son propre patron, et doit consacrer beaucoup d’heures à son activité en dehors des contrats et du travail lui-même, c’est-à-dire que ce sont des heures non facturables à des clients.
Ainsi on ne peut pas déterminer le taux horaire d’un travailleur autonome sur une base de 1820 heures par année, comme on pourrait le faire par exemple avec un employé travaillant 35 heures par semaine.
Comptabilité – Administration
Vous le savez peut-être déjà, être travailleur autonome nécessite du temps de gestion pour la comptabilité : facturation, paye, tenue d’un livre de comptes, relevés de dépenses, déclarations d’impôts plus compliquées.
Si en plus vous vous lancez dans l’aventure d’une entreprise incorporée, qu’il vous arrivait de sous-traiter ou embaucher, vous devrez passez encore plus de temps dans la gestion et l’administration de votre compagnie.
Accumulées à la fin de l’années ces heures de travail non facturables peuvent représenter une partie non négligeable de votre temps.
Prospection – vente – promotion
Un travailleur indépendant, par définition, est responsable de trouver ses propres contrats et clients.
Pour cela, il faudra vous vendre, c’est-à-dire passer du temps à chercher et prospecter des clients, faire du réseautage, mettre en place des campagnes de publicité et marketing, gérer votre visibilité sur le web, s’occuper de votre site Internet et vos réseaux sociaux pour faire la promotion de vos services et votre entreprise.
Selon le domaine dans lequel vous évoluez, cette partie de l’aventure pourra représenter un grand nombre d’heures, qui sont en plus absolument essentielles pour la pérennité et la stabilité de votre situation d’indépendant.
Arrivé à la fin de l’année, c’est encore du temps qui n’est pas facturable.
Formation, développement personnel
Selon l’industrie dans laquelle vous êtes actif, il est parfois essentiel de se mettre à jour et de se former pour rester à l’affut des dernières tendances, techniques et méthodes de travail. Comme par exemple en programmation informatique où les logiciels et langages évoluent constamment, ou en e-marketing où les différentes plateformes et stratégies changent rapidement.
Un employé pourra se faire payer une formation par son entreprise.
Un travailleur autonome devra prendre sur son temps personnel pour se payer à ses frais une formation, ou simplement passer du temps à pratiquer et se mettre à jour.
Cela dépend encore une fois du domaine professionnel, mais c’est aussi une partie du temps considérée comme non facturable dans votre année.
Journées plus longues, aléas
Un des désavantages de la flexibilité des horaires et de ne pas être imposé sur un lieu de travail, par exemple dans un bureau de 9h à 17h, c’est aussi de voir ses journées plus longues avec les aléas du quotidien : journées moins productives, dérangements, déplacements entre deux lieux, famille, enfants, imprévu dans la journée, affaires extérieures à régler.
Ainsi le travailleur autonome pourra passer plus de temps sur un contrat certains jours et finir plus tard.
C’est aussi pour cette raison qu’il n’est parfois pas évident de facturer un tarif horaire.
Et on peut aussi considérer ces heures non travaillées dans une journée comme non facturables, car vous ne travaillez pas forcément 8 heures sur votre contrat que vous facturez, à l’inverse d’un salarié qui sera payé 8 heures pour sa présence au bureau.
Ainsi il est essentiel de prendre en compte dans la balance et dans le calcul du taux horaire ce temps de travail non facturable pendant l’année, qu’il faut pouvoir compenser avec un tarif suffisamment élevé, pour pouvoir atteindre son objectif salarial à la fin de l’année en facturant sur une base de moins d’heures travaillées et payées.
Par exemple, vous estimez un gros contrat à environ 20 heures de travail par semaine, et chargez un tarif de 40$ de l’heure.
Cependant, si vous ajoutez une dizaine d’heures non facturables dans votre semaine, en plus des dépenses d’entreprises éventuelles, vous pourriez alors réaliser que votre rémunération horaire si situe plus dans les alentours de 15$ ou 20$ que 40$.
Et vous pourriez ainsi vous retrouver proche ou en dessous du salaire minimum si vous ne chargez pas un taux horaire assez élevé.
Pour estimer plus précisément les heures non facturables, cette vidéo de Serge Beauchemin chez Alias-Entrepreneur pourra vous donner une idée des pourcentages d’heures par années que vous pourriez estimer pour les catégories non facturables, comme par exemple de 15 à 30% du temps pour la gestion, de 5 à 10% pour la formation, et de 10 à 15% pour le temps non productif et aléas
Comment justifier son taux horaire auprès des clients
Lorsqu’on débute, il arrive qu’on se sente mal à l’aise de prétendre ou justifier un taux horaire, surtout lorsque vient le temps de négocier un contrat avec un client potentiel.
Outre les raisons que nous avons vues précédemment par rapport aux dépenses et au temps impliquées par un travail autonome, il faut garder en tête certains arguments en faveur du client, et assumer votre statut d’indépendant.
Avantages d’embaucher un indépendant
Il coûte en effet moins cher à une entreprise d’embaucher un pigiste ou une entreprise indépendante pour un contrat temporaire, car contrairement à un salarié, l’entreprise ne doit pas payer des charges et cotisations sur son salaire.
Ce qui fait d’ailleurs que le travailleur autonome doit assumer toutes ces charges à son compte, et ainsi justifier un taux plus élevé.
Se placer sur son marché
Il est aussi important de bien connaître le marché dans lequel on évolue, bien faire son étude pour se placer, être au courant des prix pour pouvoir par exemple justifier un taux plus élevé, car votre offre de service comporte un élément exclusif ou différent qui n’est pas proposé par vos concurrents.
Certaines expertises ou compétences sont très recherchés, comme la maîtrise de certains langages informatiques très spécifiques.
Connaître sa clientèle cible
Dans votre étude de marché vous devez cibler vos clients et leurs profils, ce qui vous aidera aussi à connaître les pratiques professionnelles et les prix en vigueur pour être à l’aise de négocier et affirmer vos honoraires.
Vous ne pourrez pas vendre le même prix un service de consultant à des particuliers retraités, des petits commerces indépendants de la Rive Sud, des start-ups sur le marché canadien et américain, des marques de sport internationales ou des municipalités dans les Laurentides.
Consultant = taux plus élevé
Ainsi et selon le domaine, il est normal dans la plupart des industries et cultures d’entreprise que le taux des travailleurs indépendants soit plus élevé que celui d’un employé par exemple.
On peut d’ailleurs le comprendre en considérant toutes les dépenses et nécessités évoquées. Ainsi, il est courant de voir le même métier avec un salaire horaire double ou triple pour un travailleur autonome.
Ce taux est justifié par les dépenses et heures non facturables qui sont à la charge du travailleur autonome.
Peut-on trouver son taux horaire avec un calcul ?
Plusieurs techniques existent et sont suggérées par diverses sources pour calculer un taux horaire.
Ce n’est pas une science exacte et chaque situation professionnelle est différente avec de multiples facteurs, et les calculs reposent sur des estimations.
Cependant il est possible d’imaginer certaines méthodes.
1 – Calcul rapide par rapport à un salaire d’employé
Pour commencer et selon le domaine d’activité, on peut simplement doubler ou tripler le taux horaire d’un salarié pour le même métier, ou encore le multiplier par 2,5 pour être entre les deux, et se donner une première estimation de taux horaire.
Exemple, un traducteur payé 25$ de l’heure en entreprise pourrait estimer un taux entre 50$ et 75$ pour des contrats indépendants, ou 62,50$ pour faire une moyenne entre les deux.
Pour avoir une idée d’un salaire type d’employé selon le métier, plusieurs sites peuvent vous aider à trouver des chiffres concrets, comme Talent.com , le site d’emploi Indeed ou encore celui de Glassdoor.
2 – Calcul avec estimations des dépenses et heures facturables annuelles
Même si i n’existe pas vraiment de calcul miracle ou de formule magique, le principe pourrait se résumer ainsi : estimer le salaire annuel qu’on souhaite pour subvenir à ses besoins + les dépenses liées à l’activité et l’argent nécessaire à mettre de côté, divisé par le nombre d’heures facturables.
Dans le détail on pourrait imaginer quelque chose de ce genre :
Dépenses annuelles estimées (dépenses d’entreprises + impôts estimés) + dépenses personnelles estimées (mise de côté pour congés payés, congés maladie, jours non travaillés etc + salaire annuel souhaité, besoins personnels dont loyer, assurances, loisirs, nourriture etc) divisé par le nombre d’heures facturables (donc sur une base de 52 semaines avec le nombre d’heures travaillées par semaine, enlever les heures non facturables + les congés estimés) = taux horaire estimé
Voici un exemple pratique.
1 – Dépenses personnelles / Salaire annuel : mettons que vous lancez pour votre première année à votre compte, et vous vous fixez par exemple un objectif de faire 50 000$, pour pouvoir vivre convenablement et subvenir à vos besoins et ceux de votre famille.
2 – Dépenses d’entreprise : vous estimez ensuite les besoins financiers lié à l’exercice de votre activité pour une année à 3 000$, entre les différentes fournitures, les frais de déplacements et frais de fonctionnement, achat de matériel et logiciels par exemple. Nous voici donc à 53 000$.
3 – Estimation de l’impôt : travailleur autonome, c’est à vous de prélever votre propre salaire brut pour payer vos impôts après votre déclaration. L’estimation peut se faire grâce à certains outils en ligne comme par exemple Turbot Impôt, ou encore en faisant appel à un expert financier. Mettons que vous arrivez à une estimation de 2 500$ d’impôt : rajoutons cela à notre calcul : 53 000 + 2 500 = 55 500$.
4 – Mise de côté annuelle : le coussin financier essentiel pour un travailleur autonome, pour pallier à d’éventuelles dépenses de santé et médicaments, pour pouvoir épargner et cotiser à un régime de retraite, ou encore pour se permettre des jours fériés et vacances. Disons ici que vous décidez de prévoir un 5 000$ pour cette année : 55 500 + 5 000 = 60 500$. Nous avons donc le total du revenu annuel + dépenses estimé.
5 – Heures facturables : nous devons maintenant diviser ce chiffre par le nombre d’heures facturables. Sur une base de 52 semaines dans l’année, on peut par exemple enlever déjà 3 semaines pour des vacances, et 1 autre semaine de jours de congés à répartir dans l’année. Ce qui nous donne 48 semaines. Cependant comme nous l’avons vu, on ne peut pas se baser sur 35 ou 40 heures par semaine, car il faut estimer les heures non-facturables, qui peuvent représenter de 40 à 60% des heures. Estimons ici une base de 20 heures facturables par semaine x 48 semaines = 960 heures facturables.
On peut maintenant estimer notre taux horaire : 60 500 ÷ 960 = 63,02 $ de l’heure
Dépenses personnelles / salaire : 50 000$
Dépenses d’entreprise : 3 000$
Estimation de l’impôt : 2500$
Mise de côté annuelle / coussin financier : 5 000$
Total de revenu et dépenses estimées = 60 500
Heures facturables estimées : 960
Taux horaire estimé : 60 500 ÷ 960 = 63,02 $ de l’heure
C’est-à-dire qu’en estimant que sur une année, vous allez passer en moyenne 20 heures par semaine sur des contrats, donc des heures facturables, sans compter l’autre partie des heures non facturables et des congés que vous voulez prendre, il vous faudra charger environ 63$ de l’heure pour pouvoir atteindre votre objectif financier de 60 500$ par année.
En prenant en considération que votre salaire net, après la déduction estimée de vos impôts et dépenses d’entreprises, sera de 55 000, incluant votre mise de côté nécessaire à d’éventuelles dépenses de santé ou jours de congés .
Note : Pour les entrepreneurs individuels dans la vente de produits et le commerce de détail, ce genre de calcul sera encore différent. Il faudra peut-être estimer des objectifs de ventes minimaux pour atteindre le salaire estimé en une année, pour peut-être aider à déterminer un prix de vente et une échelle de prix permettant de réaliser ces objectifs avec un nombre de ventes minimum estimé. On remarque ici la difficulté d’estimer plus précisément un taux horaire ou un salaire.